[Musique – Opéra de Toulon] Giulio Cesare s’est égaré

Après sa version concert en décembre dernier à l’opéra de Monte-Carlo, l’opéra de Toulon propose Giulio Cesare de Georg Friedrich Haendel dans sa version scénique. Autre changement notable, la version toulonnaise est une affaire de femmes : le rôle-titre tenu à Monaco par le haute-contre Christophe Dumaux est dévolu à la mezzo Sonia Prina dans la version scénique où elle donne la réplique à Roberta Invernizzi (Cléopâtre).

Dans la fosse, il est aisé de mesurer le travail intense que le chef italien Rinaldo Alessandrini a dû mener avec l’Orchestre de l'Opéra de Toulon peu habitué à ce type de répertoire. Et les trois heures de musique démontrent largement le talent de direction de Rinaldo Alessandrini et la grande musicalité de cet orchestre décidément très surprenant.

Sur une scène ouverte au regard des spectateurs à leur entrée en salle, un paysage de ruine et des cadavres qui jonchent le sol ne laissent planer aucun doute sur les circonstances historiques de l’opéra. La scénographie de Luc Londiveau est habile : la scène est en fait coupée en deux permettant à une action qui joue avec les différents espaces, avec les intérieurs et les extérieurs de trouver un cadre simple et efficace. La scénographie marque de manière heureuse les chausse-trappes, passages dérobés et rebondissements en incluant dans sa logique des trappes permettant aux personnages de disparaître et de réapparaître aisément.

Par rapport à la qualité des interprètes de l’opéra de Monte-Carlo (Christophe Dumaux et Natalie Dessay), la mezzo italienne Sonia Prina, physiquement très engagée en Giulio Cesare, semble musicalement très en retrait et très inégale sur l’ensemble de l’œuvre et le timbre de Roberta Invernizzi en Cleopatra est un peu trop léger pour ce personnage. Les autres interprètes (notamment Teresa Iervolino en Cornelia ou encore Monica Bacelli en Sesto) sont beaucoup plus convaincants.

Giulio Cesare in Egitto est une œuvre difficile à mettre en scène. L’opéra correspond d’abord aux traditions d’une époque et se compose d’airs à vocalises permettant à chaque interprète de mettre en avant toutes les facettes de son talent. Les arie di passione (airs de passion) voire les arie di furore (airs de passion démesurée) qui succèdent aux arie di paragone (airs de comparaison) permettent à chaque protagoniste de décliner son sentiment amoureux à travers une série de métaphores botaniques, zoologiques ou météorologiques. Haendel pour rompre la monotonie a glissé entre ces airs différentes scènes notamment celle du Parnasse dans l’acte 2 où Cléopâtre séduit César. Frédéric Andrau, le metteur en scène réussit à éviter l’écueil en travaillant sur les déplacements et l’activité de tous les personnages. Pas de comédiens plantés en avant scène, pas de tunnels interminables, c’est de ce point de vue une réussite.

Mais l’exercice a sa limite et le parti pris général de mise en scène offre un décalage plus problématique. « J’ai eu envie d’ouvrir le rideau sur un empire décadent, dont la contagion commence à opérer » déclarait le metteur en scène. Sauf qu’à trop vouloir coller à un parti pris contestable (quelle décadence ? Le sexe serait-il l’unique marqueur de la décadence ? ), il en vient à contredire scéniquement ce que l’œuvre dit. En transformant l’évolution du sentiment amoureux réciproque de César et Cléopâtre pourtant bien lisible en une relation torride au milieu d’une bacchanale sans fin, Frédéric Andrau semble avoir confondu Cesar in Egitto de Haendel, le Satyricon de Federico Fellini et… Caligula et Messaline, film de série Z de Bruno Mattei.

Giulio Cesare s’est égaré, quel dommage !