[Musique – Opéra de Nice-Côte d’Azur – Nice] The Rake’s Progress ou la carrière de Julien Behr

The Rake's Progress est un opéra en trois actes composé par Igor Stravinsky sur un livret de Wystan Hugh Auden et Chester Kallman inspiré en partie de la série de huit peintures A Rake's Progress de William Hogarth et créé le 11 septembre 1951 à La Fenice de Venise avec, à la demande de Stravinski lui-même. Même si le titre La Carrière du libertin est effectivement sa traduction originelle, il est souvent présenté avec son titre anglais… sauf à l’opéra de Nice.

Jean de Pange est un homme de  théâtre qui est passé par tous les postes du spectacle vivant et cela se voit. Sa conception est celle d’une gigantesque mise en abyme qui renvoie aux dualités : ville/campagne, ordre/désordre, vertu/vice desquels la symbolique religieuse n’est jamais éloignée comme en témoigne la double piéta en début et en fin d’opéra de Tom Rakewell  tombant dans les bras d’Anne Trulove (ça ne s’invente pas). La scénographie de Mathias Baudry crée un gigantesque tableau en écho aux huit gravures de William Hogarth avec des cadres qui vont permettre de passer subtilement d’un lieu à l’autre et rehaussées par les lumières d’Hugo Oudin. Dans cette proposition tout se voit, les techniciens sont à vu et manipulent éléments et accessoires pendant que Nick Shadow manipule Tom Rakewell  …autre mise en abyme. Tout n’est pas forcément subtil dans la proposition de Jean de Pange mais l’ensemble est cohérent et souvent inventif.

Sur scène, Amélie Robins arrive à montrer par sa voix et son jeu tous les contrastes de son personnage d’Anne Trulove : elle est l’élément qui relie les deux mondes, qui allie les contriares. Les avis étaient plus partagés dans la salle sur la prestation de la mezzo-soprano Isabelle Druet en Baba la turque, certains la trouvant parfaite, les autres pas assez engagée. La mezzo-soprano Kamelia Kader incarne une Mother Goose non sans humour. Frédéric Diquero fait une courte mais remarquée apparition en Sellem. Le personnage de Nick Shadow est incarné par Vincent Le Texier qui en fait un savant mélange de manipulateur mythique et de Monsieur Loyal alliant ainsi le drame au cirque.  La basse Scott Wilde s’impose en Father Trulove, père d’Anne. Enfin le ténor Julien Behr explose la production en libertin Tom Rakewell : pas de barrière de la langue, un chant clair, une présence scénique active, pensée, efficace. Il est l’homme de la situation et un Grand de demain.

Roland Böer dans la fosse dirige un orchestre inspiré avec une précision qui participe à la réussite de la production.  Roland Boër se permet le luxe d’assurer également la partie récitative du clavecin tout en dirigeant. Le chœur très sollicité passe avec brio par tous les états, criant lorsqu’il le faut, se fondant dans la masse à d’autres moments.

Le public commença dès la chute à applaudir quand, surprise ! le ténor Julien Behr fit taire la salle. Allait-il faire un bis ? Que nenni, ceux qui connaissaient l’œuvre savaient qu’il manquait l’épilogue et cet artifice de Jean de Pange sonnait comme une envie de prolonger le plaisir, de ne pas quitter trop précipitamment une soirée réussie… et elle le fut !