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Blog de mes curiosités

[Musique – Art lyrique - Opéra de Lyon] Un succulent Roi carotte qui ne végète pas

©Théodore Charles/un-culte-d-art.overblog.com
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L’événement le plus attendu de cette fin d’année était sans conteste la reprise du Roi Carotte de Jacques Offenbach à l’opéra de Lyon. Avant même que la promotion ne s’engage sur France Musique, les billets étaient déjà en poche, l’hôtel et le train réservés. Il ne restait plus qu’à attendre… sans jeter un œil sur la moindre critique ou le moindre compte rendu pour éviter d’être influencé.

Reprise-événement car le Roi Carotte avait quasiment disparu des scènes depuis sa création au théâtre de la Gaîté le 15 janvier 1872, ou plutôt pour ne froisser personne, avait disparu avec un orchestre et un effectif aussi importants afin de ne pas oublier d’autres initiatives comme celle d’Olivier Desbordes et de l’Opéra éclaté en 2008.

A l’origine opéra-bouffe-féerie en quatre actes et dix tableaux sur un livret de Victorien Sardou, le Roi Carotte nécessitait de tels moyens techniques, un tel plateau pour les six heures de spectacle, que ses représentations pourtant prometteuses ne survécurent pas aux contraintes techniques et financières. Le Roi Carotte semblait mort-né avec l’essor de la République triomphante.

Sans référence d’interprétation musicale ou scénique, le Roi Carotte est d’abord un travail fabuleux d’édition critique mené comme il se doit par l’infatigable Jean-Christophe Keck qui se serait appuyé sur les trois sources connues (matériel orchestral, manuscrit autographe et partition chant piano) pour établir une partition complète sans avoir, de surcroît les inévitables retouches ou réécritures dont Jacques Offenbach était coutumier après les premières représentations. Le travail de titan mené par Jean-Christophe Keck autour de Jacques Offenbach force décidément l’admiration. Il serait fort courtois de se souvenir que sans lui, beaucoup de créations contemporaines seraient difficiles voire impossible et il serait de bon ton que l’ensemble de la profession le soutienne enfin sans réserve pour que ses projets, dont le projet de Bibliothèque-médiathèque Jacques Offenbach qu’il nourrit, puissent voir le jour.

Le Roi Carotte est créé en France dans un climat très particulier. Entamée à la fin du Second Empire, l’œuvre voit le jour dans un régime qui ne s’appelle plus Empire, qui ne se nomme pas encore République et qui s’interroge sur une possible restauration monarchique. Parsemé d’allusions politiques de l’époque sans doute sans grand sens pour la nôtre, le Roi Carotte devait aussi faire peau textuelle neuve ce qui fut réalisé par Agathe Mélinand. Il ne manquait plus à la mise en scène que la patte de Laurent Pelly, grand habitué des œuvres de Jacques Offenbach, pour que tous les ingrédients soient réunis.

Satire des mœurs politiques, Le Roi Carotte se veut un divertissement dans cette époque troublée où les Parisiens, encore sous occupation prussienne comme toute la France, sortent de la Commune de Paris et de sa féroce répression. Mais ce serait faire un terrible contresens que de ne voir dans le Roi Carotte qu’une amusette, l’œuvre étant bien plus profonde qu’il n’y parait : satire des mœurs politiques, elle brocarde les régimes, l’opportunisme, la trahison, l’ambition démesurée, les courtes vue ; en cela elle est très intemporelle et peut donc s’accommoder d’une transposition temporelle du texte parlé pourvu que les allusions soient fines. L’œuvre mêle plusieurs registres : la comédie de mœurs, la fable mythologique, la parodie, le fantastique, le voyage initiatique et fait référence constamment en filigrane à la théorie d’Ernst Kantorowicz sur les deux corps du Roi : le roi possède un corps terrestre et mortel, tout en incarnant un corps politique et immortel ; le Roi est mort vive le Roi ou la résurrection du Roi Fridolin XXIV.

La mise en scène devant absolument éviter l’écueil du changement de tableau, de lieu et d’époque, le parti pris adopté est celui d’une alternance entre changement à vue de la scénographie qui redessine les espaces, jeux de rideau et utilisation des cintres et des trappes pour faire disparaître décors et personnages. Affublé de costumes très référencés Alice au Pays des Merveilles, version(s) cinématographique(s), les personnages évoluent dans une scénographie qui travaille également des éléments de décor différents mais dans une architecture identique : les portraits de légumes remplacent les portraits anthropomorphiques, la cagette remplace le lit à baldaquin, la couleur bleue devient orange, le régime est différent mais symbolise bien un vin nouveau dans de vieilles outres ou plutôt du vin aigri dans de nouvelles outres. Blanc bonnet et bonnet blanc aurait dit Jacques Duclos.

L’interprétation se devait d’être à la hauteur de l’ambition, elle le fut de toute part. L’astucieuse distribution donne deux couples qui se complètent, jouent de leurs différences et de leurs ressemblances et se répondent à merveille : Julie Bouliane (Robin-Luron) et Chloé Briot (Rosée du soir) d’un côté, Boris Grappe (Truck) et Jean-Sébastien Bou (piepertrunk) de l’autre. Lydie Pruvot en sorcière Coloquinte grâce à sa parfaite diction dans ce rôle parlé et à son jeu de scène tente de tirer les ficelles. Antoinette Dennefeld semble faite pour le rôle de Cunégonde. Non seulement, la voix est belle mais, comme dans le cinéma expressionniste, elle appuie les différentes mimiques pour mieux faire ressortir son personnage de princesse fantasque non dénuée d’intérêt pour la pouvoir. Christophe Mortagne fait merveille dans cet odieux personnage du Roi Carotte en jouant finalement aisément d’un timbre strident et d’un costume encombrant. Et enfin, Yann Beuron rend entièrement la complexe personnalité de Fridolin XXIV et sa métamorphose à mesure que l’intrigue avance, son aisance scénique et vocale le placent au centre de l'intrigue. Victor Aviat à la baguette imprime à l’orchestre une vivacité et une énergie qu’il réussit à tenir dans la durée.

Il serait enfin indécent de ne pas rendre hommage au chœur de l’opéra de Lyon dirigé par Philip White tant l’énorme investissement semble une évidence. Tous les éléments du chœur, humains ou légumes occupent un rôle central dans la composition d’ensemble qu’ils soient partisans de Fridolin XXIV, partisans du Roi Carotte, Pompéiens en sursis (la scène de l’anneau de Salomon fait figure d’anthologie par son rythme et sa justesse) ou encore étudiants en bamboche. Le chœur imprime une dynamique à l’ensemble et contribue largement à la réussite de ce spectacle.

Souhaitons au Roi Carotte qu’il perdure au delà de cette saison et qu’il se régénère le plus souvent possible, le plus longtemps possible pour rendre hommage à tous ceux (restaurateur, musicologue, metteur en scène, dramaturge, interprètes, musiciens, scénographe, créateur lumière, chef d’orchestre, choristes et chef de chœur) qui y ont participé.

Opéra de Lyon ©Théodore Charles/un-culte-d-art.overblog.comOpéra de Lyon ©Théodore Charles/un-culte-d-art.overblog.comOpéra de Lyon ©Théodore Charles/un-culte-d-art.overblog.com

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